Riche est l'homme qui, comme moi, peut s'offrir le luxe de
vivre libéré de la tutelle castratrice du temps. L'horloge ne semble plus
tourner dans le même sens depuis que mon pied a touché le « Nouveau
Monde ». D'esclave assujetti au sablier kafkaïen des « Temps
modernes » je suis subitement devenu maître de ma propre destinée.
Même au plus fort de mes plus belles années de faculté jamais je n'ai ressenti
une telle jouissance libertaire. Je ne vis pas hors du temps mais bien au cœur
de celui que je veux bien me fixer. Pas d'horaires, peu de contraintes et
l'étrange sensation de vivre une émancipation continue, à contre-courant de
tous les discours culpabilisants d'une société occidentale tournée vers la
vénération du travail.
Aux farouches défenseurs des rouages bien huilés de ce
temps qui nous file entre les doigts, aux tenants d'une vie passée à chercher
en vain l'échappatoire salutaire à la propre condition que l'on s'impose à nous
même, je ne reproche rien, n'entend même pas les convaincre du bien-fondé ou
non de ma pensée. A peine oserais-je revendiquer, comme ultime accomplissement
du plein exercice de la liberté humaine, le « droit à la paresse »,
sans autre justification que la farouche volonté d'échapper définitivement à la
dégénérescence intellectuelle que représente le travail imposé par un tiers.
Pourrais-je consentir à pervertir cette liberté au profit d'une future « socialisation
par le travail » en France ? Cela semble provisoirement
nécessaire... Pourrais-je y trouver une quelconque forme d'accomplissement ?
Je ne crois pas !
Difficile de s'imaginer, pour quelqu'un
qui ne l'a jamais vécu, l'intense sensation d'accomplissement perpétuel qui
porte l'être libéré de toute contrainte. Dernière représentation d'une
souveraineté sans barrière, cette vie devient alors l'objet de toutes les
malheureuses convoitises, certains oubliant, sous l'ombre de la jalousie, que
l'homme ne trouve son salut que dans la libre expression de sa liberté. Si il
en vient à jalouser, ou à juger, une certaine forme d'expression de liberté
chez autrui c'est peut-être que lui-même ne se satisfait plus des bornes qu'il
s'impose.
Le moment semble alors venu de tourner le dos aux anciennes
contraintes d'une société qui ne nous offre comme seul horizon indépassable que
la cruelle nécessité de s’enchaîner au travail pour vivre sa vie par
procuration. Prendre un billet d'avion, tourner le dos aux coercitions de la
vie quotidienne, réorienter ses priorités... ne sont pas choses faciles, mais
choisir la bohème plutôt que la triste sécurité d'une vie aux ordres me semble
à la portée de n'importe lequel de mes amis... encore faut-il réellement le
désirer !
L'exil salutaire en terres yucatèques me pousse ainsi
inévitablement à mener de nombreuses réflexions sur le sens de l'existence, la
place du travail et de la contrainte, la valeur de l'amitié, la forme
d'expression à mettre en place, ou non, sur la base de mes différentes pensées
politico-philosophiques... Barbant à première vue, et pourtant je retrouve ici
la stimulation intellectuelle qui m'avait submergé lors de mon voyage à Cuba,
souffle radieux nécessaire à l'esprit pour mener jusqu'au bout des
introspections plus ou moins fructueuses. Loin du foyer, loin des amis, libéré
du moindre carcan temporel, mon monde est propice à l'expression ultime de
l'inspiration. J'échange, je lis, je voyage, j'écris... ce qui devient
véritablement barbant ce n'est donc pas l'expression débridée de ma pensée
(bien qu'elle vous oblige à maintenir toute votre concentration pour suivre le
fil décousu de mes propos) mais bien la promesse inéluctable d'un retour brutal
à la réalité.
Il y a de cela plusieurs années nous avions ramené, mon
cousin et moi-même, une fleur d'insouciance, cueillie sur une plage des
Caraïbes entre deux mojitos et de nombreuses réflexions sur le sens à
donner à notre existence. J'ose espérer que pour nous deux cette fleur n'a pas
vieillie malgré les difficultés de la vie et les nouvelles responsabilités
castratrices qui ouvrent la porte à la vieillesse. Dans les terres mayas je
viens avec plaisir me remémorer son doux parfum, quintessence libertaire,
essence même de notre projet de vie... « disfrutar de la vida ».
Ça donne à réfléchir..
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