jeudi 20 septembre 2012

Du quartier rouge à la ville blanche.



Des loupiotes rougies du « red light district » d’Amsterdam aux façades noircies par le temps de Mérida « la blanche », le voyage fut long et éprouvant. Plus de trente heures et deux escales se sont ainsi écoulées entre mon premier avion parisien et le délicieux moment où je me suis écroulé dans le hamac de l’auberge de jeunesse yucatèque.

La première escale néerlandaise ne fut pas de tout repos. Arrivé à 19h au « Schiphol Airport » il me fallait reprendre l’avion pour Mexico le lendemain aux alentours de 14h. Dix-neuf heures à tuer le temps en attendant de traverser l’Atlantique.           
L’arrivée en avion sur Amsterdam fut un instant précieux, l’un de ces rares moments où l’œil s’émerveille devant la découverte d’un paysage inédit et éphémère. A l’approche des côtes hollandaises l’avion entame immédiatement sa descente en frôlant la mer, surplombant une immense plaine qu’on ne voit plus finir, lande balayée par les vents et couverte d’éoliennes de toute sorte. Les quelques cheminées d’usines des faubourgs de la capitale, dernières héritières d’un glorieux passé industriel désormais révolu, surplombent cette étrange lagune. A la tombée du  jour, sous la lumière tamisée du soleil, c’est un spectacle grandiose.

Amsterdam reste également une ville très prisée des voyageurs, au parc immobilier démesurément cher ; je l’ai malheureusement appris à mes dépends. Qu’à cela ne tienne, une fois la chambre réservée au plus près de la gare, et ce ne fut pas une mince affaire, il me restait une bonne partie de la nuit pour m’encanailler dans le « red light district » tout proche. Dédale de rues et de canaux où se pressent les étrangers du monde entier, le « quartier chaud » de la ville fait ici côtoyer dans une surprenante promiscuité festive coffee-shops et prostitution tape à l’œil pour le plus grand bonheur des touristes qui, en général, ne sont « consommateurs » ni de l’un ni de l’autre. Ici ni canaille ni ghetto mais un haut lieu standardisé du tourisme néerlandais.


 La traversée du lendemain est un long voyage sans histoire. J’ai seulement encore le regret de n’avoir pu photographier les hauts sommets enneigés du Groenland. De là-haut, un sentiment de bien-être m’a littéralement enveloppé à  la vue de cette paisible étendue, longue déchirure de Terre inanimée qui semble entièrement dépourvu de vie.


 De l’infiniment vide à l’infiniment plein, des montagnes glacées du Groenland à la chaleur tropicale étouffante, en l’espace de quelques heures mon arrivée aérienne sur le « nouveau Monde » est marquée par un grand écart ébouriffant. Ce sont les premières lumières de la conurbation urbaine de Mexico qui m’ont accueilli : un décor terrifiant. Je crois qu’on ne peut, avant de l’avoir connu, imaginer une telle concentration d’hommes et de bâtiments. Un paysage humanisé, pour ne pas dire déshumanisé, à perte de vue. Des bidonvilles, des usines, des buildings, des gratte-ciels… pas un lac, pas une forêt mais une véritable angoisse kafkaïenne qui vous prend à la gorge avant même de poser le pied sur le sol mexicain. Voici donc ce qu’il reste de la glorieuse Tenochtitlan, capitale aztèque qui a perdu son âme sous le joug du conquistador européen. Moctezuma aurait peut-être aujourd’hui une seule raison de se réjouir, l’une des prophéties aztèques est en passe d’être accompli : Mexico va devenir la plus grande ville du monde !

Deux petites heures d’attente dans le gargantuesque aéroport de la capitale et c’est le départ pour la péninsule du Yucatan, terminus d’un périple qui s’étire plus que de raison.     
Je me le suis juré dans le taxi yucatèque, le lit de l’auberge que j’imagine déjà douillet à souhait sera le premier compagnon de cette aventure… promesse non tenue, désolé mais le hamac cela fait quand même plus autochtone !


mardi 18 septembre 2012

Le début ne laisse-t-il pas présager la fin ?


Chez Hérodote « le début ne laisse pas présager la fin ». Il en est tout autrement pour ce qui me concerne. Ici l’origine de la fuite semble inéluctablement apparaître comme le terminus à venir de cette vaine tentative de repousser la marche du destin. Tout ça pour ça me direz-vous… Partir, fuir à l’autre bout du monde pour tenter d’échapper, ne serais-ce pour quelques mois, à ce qui ne peut être distancé. Une course poursuite où le poursuivant à d’ores et déjà remporté la partie avant même le départ.

L’aventure yucatèque ne débute en effet ni dans la magie des lectures mayas ni dans un quelconque attrait particulier pour la vie tropicale. Elle prend racine dans la farouche volonté de repousser au plus loin des frontières géographiques le bagne formateur duquel je me suis évadé un soir de juillet, obtenant le si rare et si désiré laissez-passer pour devenir à mon tour geôlier de la Grande Institution. 


Dans ce lieu de perdition, où les désirs de liberté s’épanouissent comme dans une cour de prison, l’esprit libre s’abandonne totalement aux joyeuses divagations pour ne point sombrer. Dire, lire, écrire, s’interroger, protester, rêver, aimer pour oublier que le corps reste blessé de devoir désormais marcher au pas.   
L’homme ne devrait jamais cesser de se réinventer, au lieu de ça il courbe l’échine, à l’usine comme à l’école, devant des « maîtres » de fortune qui, à la faveur d’une charge durement acquise, se font eux-mêmes rouages implacables d’une société servile. Ici comme ailleurs l’ordre vaut mieux que la liberté.
    
Et me voilà désormais, et de bon gré, promu au sein du bagne pour services rendus à la Grande Institution. Dans ma course à mes propres illusions je m’imagine déjà comme une sentinelle corrompue, laissant s’échapper subrepticement des murs opaques de la classe un souffle libérateur, qui de brise à tempête contribuera à faire flancher un édifice déjà branlant.

Et pourtant, à la veille de son premier tour de garde, le gardien rêveur déserte au bout du monde. L’herbe sera-t-elle plus verte ailleurs ?    
Le pénitencier lui sera toujours là, dressant sa froide masse par-dessus les illusions de celles et ceux qui ont cru naïvement qu’éducation rimait avec émancipation. Il attendra alors patiemment le retour de son déserteur, comme une compagne fidèle et oppressante qui se chargera en temps voulu de lui rappeler ses devoirs. Un retour au départ, l’éternelle illusion d’une nouvelle renaissance ?

Un départ cela ressemble souvent à une désertion.



Tout ne commence pas sur le tarmac d’un aéroport étranger, tout ne débute même pas lors de l’ultime décision qui entérine un départ devenu inéluctable, tout commence bien en amont, là où les torrents de l’esprit s’entremêlent avec furie pour ne devenir qu’une bouillie d’où rien ne peut sortir hormis un dévastateur sentiment de chaos.

Un départ cela ressemble souvent à une désertion, à la facilité de la fuite en quête d’une illusion de renaissance. Il n’en n’est pas différent pour moi. Le départ c’est la fuite devant les responsabilités, le travail, la routine, la vieillesse. Le départ c’est la promesse d’une délicieuse folie que rien ou si peu ne saura enchainer, c’est une déclaration criante de foi, ou de désespoir, d’un homme qui veut prolonger l’insouciance de ses rêveries. 

Chaque expérience de déracinement est une page unique d’un livre universel. Tantôt récit magnifié, tantôt drame en exil, la plume de l’expatrié à la fâcheuse habitude d’être teintée d’une encre à l’exaltation pathétiquement lyrique.            
Mes écrits ne semblent être destinés à personne et ne souhaitent entrer dans aucun cadre précis. Leur finalité est aussi embrumée que les raisons de mon départ précipité. Il fallait alors fuir le vieillissement d’un monde, mon monde, aux cadres pesants, aux responsabilités trop grandes. Il faut aujourd’hui exorciser ma frayeur solitaire de vivre loin de ceux que j’aime et de l’environnement qui m’a construit. Là-bas comme ici je reste un déserteur.